The Cure – Pornography (1982)

The Cure – Pornography (1982)Je n’ai pas découvert The Cure à la sortie de Pornography. Et c’est sans doute une bonne chose, car à 10 ans, cet album m’aurait probablement traumatisé. Non, comme la plupart des ados des années 80, j’ai découvert The Cure avec The Head On The Door, l’album de 1985 qui devait faire d’eux des stars internationales. Et je dois dire que ce fut une sacrée claque : les Cure furent le premier groupe qui me donna envie de m’enfermer dans ma chambre pour écouter un album en boucle jusqu’à pas d’heure. Et aussi à reléguer au fond du grenier tous mes vêtements qui n’étaient pas noirs ou gris, et à commencer à m’ébouriffer sérieusement la tignasse avant d’entrer au collège. Bref, je fus un Curiste parmi tant d’autres, et je me mis rapidement en quête de tout ce que le groupe avait pu composer.

À l’époque, évidemment, il n’y avait pas de plateformes de téléchargement, légales ou pas. On devait donc se débrouiller comme on pouvait en échangeant des cassettes sous le manteau. J’avais déjà récupéré Three Imaginary Boys, Seventeen Seconds et Japanese Whispers de cette manière. Il ne me manquait plus que Faith, The Top et Pornography. Comme j’étais un jeune ado plutôt tranquile et pas du tout exigeant, ma mère ne fit aucune difficulté quand je lui demandai de me payer un disque. Chez le disquaire, je fouillai dans les bacs, et je finis par trouver ce que je cherchais : quelques galettes 30 cm de mon groupe fétiche. Mais aucun signe de Faith ou The Top, et mon choix se porta naturellement sur Pornography, dont la pochette rouge sombre me donna immédiatement des frissons. Je me souviens encore du froncement de sourcil de ma maman lorsqu’elle vit la photo torturée et lut le titre de l’album… Mais bon, elle m’offrit quand même ce monument musical. Merci maman.

Écouter Pornography quand on a treize ans… Comment décrire ce que j’ai ressenti ? Les mots me manquent un peu. C’est à la fois extrêmement perturbant et profondément jouissif. Je me souviens l’avoir écouté en boucle pendant des jours, voire des semaines, en alternant avec les autres albums, histoire de varier un peu. Je me souviens aussi en avoir fait plein de copies pirates sur cassettes, que j’essayais de refiler à tous mes camarades pour leur faire découvrir cette perle, avant de réaliser que pour la plupart, ils préféraient de loin Wham et Boy George et trouvaient ma musique « zarbi ». Mes premières tentatives de prosélytisme musical ne furent définitivement pas une réussite.

Aujourd’hui encore, quand je regarde la pochette de Pornography, mon ventre se serre. Et c’est bien normal, car c’est un album viscéral. Viscéral au sens propre du terme : Robert Smith y parle de boyaux, d’entrailles, d’organes douloureux, de blessures ouvertes, de sang… Et tous ces termes ne sont pas forcément des métaphores. Pornography impose un registre de langage à la limite de l’obscénité, qui devait être repris par tous les groupes romantico-ténébreux de la mouvance gothique (même si au final, cet album n’a qu’un rapport très ténu avec le gothic rock). Viscérale aussi, la musique : des mélodies simples, voire simplistes, mais chaque note, chaque percussion est assénée comme un coup de marteau. Dire qu’il s’agit d’un album sombre est un doux euphémisme : il est d’une noirceur désespérée, mais non feinte. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que Smith n’a pas écrit ces chansons juste pour se donner un genre néo-romantique. Certains morceaux, comme Cold ou Siamese Twins, sont carrément abyssaux. Et le morceau éponyme qui clôt l’album est presque insupportable. Pornography suinte de sang, de sexe, de drogue et de violence psychologique. Pas étonnant que certaines rumeurs aient couru à l’époque sur les tendances suicidaires de ceux qui l’écoutaient.

Et pourtant, rien n’est moins vrai. Personnellement, je ne me suis jamais senti aussi vivant qu’après avoir écouté Pornography (et Unknown Pleasures de Joy Division, mais j’en parlerai un autre jour). Ce n’est en aucun cas un album à message : Robert Smith y parle de ses angoisses et de son mal-être, mais à aucun moment il ne se pose en modèle. Il n’y a pas de jugement dans cet album, juste un constat. On peut difficilement s’identifier au Robert Smith de l’époque, qui touchait quand même le fond. Par contre, on peut se sentir solidaire, et ressentir un certain soulagement en constatant que quelqu’un a su trouver les mots pour exprimer les sentiments obscurs qu’on éprouve au plus profond de soi et qu’on tient secrets de peur de passer pour un détraqué. Loin d’être une expérience suicidaire, écouter Pornography relève davantage de la thérapie personnelle quand on a 15 ans. Et puis a-t-on jamais accusé Baudelaire ou Rimbaud de pousser leurs lecteurs au suicide ?

Bref, Pornography occupe une place très spéciale dans mon univers musical, et dans ma vie en général. J’ai arrêté de me torturer les cheveux (pour ce qu’il en reste, de toute façon…) et j’ai fait de sérieuses concessions vestimentaires. Mais la musique de Pornography résonne toujours un peu en moi. Et si je ne l’écoute plus très régulièrement, ce n’est pas par désintérêt, mais pour pouvoir à chaque fois le redécouvrir un peu.

Ma note personnelle : 5/5

About Guilhem

Hello !